Les aéroports de Nice et de Lyon vont être privatisés, après celui de Toulouse. Une politique qui est loin d’être sans risque, dont une forte hausse des tarifs, comme on a pu le voir à Paris. Par Jean-François Dominiak, vice président du Scara, Syndicat des Compagnies aériennes autonomes
Pendant longtemps, les plateformes aéroportuaires se sont multipliées sur le territoire français dans le but de désenclaver les régions. L’État et les collectivités locales finançaient, et les compagnies aériennes remboursaient les investissements par le versement de redevances aéroportuaires.
Depuis, l’État s’est lancé dans une politique de privatisation des aéroports dans le but de renflouer ses caisses et de permettre aux aéroports de trouver de nouvelles sources de financement.
Trois risques majeurs associés à la privatisation
La gestion des Contrats de Régulation Economique (CRE) liant l’État à Aéroports de Paris sur les dix dernières années a mis en évidence des risques majeurs associés à une telle politique.
Le premier de ces risques est la transformation des aéroports en entreprises commerciales portant au premier rang de leurs préoccupations la rentabilité des capitaux investis par leurs actionnaires, avec pour conséquence une hausse des tarifs qui prennent désormais en compte cette rémunération, majorée d’un coefficient de risque propre à toute activité capitaliste en économie de marché.
Le deuxième risque est de voir des réalisations immobilières déconnectées des demandes des compagnies aériennes devenues « clients » captifs, les revenus attendus desdits « clients » étant garantis de fait par des CRE prévoyant des compensations tarifaires en cas de baisse du trafic réel.
Enfin, le troisième risque réside dans la mise en place systématique d’une « double Caisse » qui permet aux aéroports (grâce aux boutiques en aérogares, locations d’immeubles de bureaux, d’entrepôts, de centres commerciaux bâtis sur les emprises domaniales des aéroports) de bénéficier, à leur seul profit, de revenus générés par la chalandise apportée par les compagnies aériennes, là où ces revenus contribuaient par le passé à faire baisser le niveau des charges facturables aux compagnies aériennes.
+49,5% pour les tarifs à Roissy !
Il n’est pas aisé de mesurer l’impact économique de ces trois risques, mais on peut noter qu’en 10 ans le trafic des plateformes de Roissy et d’Orly a crû de 29% (99,2 millions de passagers en 2015) pour une augmentation du tarif moyen des redevances aéroportuaires de 49,5 % et une inflation de 13,9 %.
L’ouverture du capital d’Aéroports de Paris aux intérêts privés s’est donc traduit par une aberration économique : plus l’outil industriel se développe et plus ses tarifs unitaires augmentent.
Le transport aérien pourra-t-il encore être un outil d’aménagement du territoire ?
La privatisation des aéroports pose également la question de l’abandon par l’Etat d’une politique d’aménagement du territoire en matière de transport aérien. Mus par la rentabilité des capitaux investis par leurs actionnaires, les aéroports privatisés pourraient être tentés de relever le tarif des redevances des avions « petits porteurs » au profit des « gros porteurs » et de leurs pourvoyeurs de clientèle régionale « moyens porteurs » au motif d’une optimisation de leurs infrastructures. Une telle modification tarifaire remettrait en cause directement l’équilibre économique des lignes à caractère d’aménagement du territoire.
La nécessité d’une régulation économique efficace
Il est vital d’accompagner la privatisation des aéroports d’une « Régulation Économique » efficace qui passe par la mise en place d’une « Autorité de Surveillance Indépendante (ASI) » garantissant le respect des équilibres économiques entre le gestionnaire privé d’un ancien monopole d’État et ses « clients ».
En France cette ASI relève de la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC), dont le manque d’indépendance, l’État étant à la fois le donneur d’ordres de la DGAC et le propriétaire d’Aéroports de Paris via l’Agence des Participations de l’Etat (APE), a été reconnu par le Conseil d’État dans un jugement rendu le 29 avril 2015 suite à une plainte déposée par le Syndicat des Compagnies AéRiennes Autonomes (SCARA).
Un préalable aux privatisations envisagées des aéroports de Nice et Lyon est donc la constitution d’une nouvelle ASI. L’affectation du produit de la vente des parts de l’Etat dans les aéroports au transport aérien français.
Par le paiement des redevances aéroportuaires, ce sont les compagnies aériennes seules qui ont financé la construction et le développement en France des aéroports. Il est donc légitime que le produit de la vente des parts de l’État dans les aéroports privatisables revienne au transport aérien participant au désendettement de la DGAC, au financement de la desserte de l’aéroport de Paris Charles de Gaulle ou encore au financement des investissements nécessaires sur les aéroports non privatisables.
Paris, le 1er octobre 2015
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