Après un premier passage à l’Assemblée Nationale, suivi d’un examen par le Sénat, le projet de loi PACTE, déposé par le Gouvernement en juillet dernier, revient en seconde lecture à l’Assemblée Nationale. Le SCARA, qui regroupe 40% des compagnies aériennes françaises, a analysé la partie de ce texte touchant à la privatisation du Groupe ADP et à la régulation économique des aéroports français. Il en livre ici le décryptage par son conseil juridique Maître Rémi Sermier.
Le Sénat a rejeté la privatisation du Groupe ADP, tout en votant des modifications du cadre de régulation qui sont paradoxalement destinées à la faciliter
Le Sénat a éliminé de la loi PACTE les articles permettant la privatisation d’ADP. Nul doute que l’Assemblée nationale les rétablira. De manière apparemment paradoxale, les sénateurs ont adopté, dans le même temps, des dispositions qui sont essentiellement destinées à accompagner cette privatisation.
Ainsi, la Haute Assemblée a accepté de rejoindre le Gouvernement et l’Assemblée nationale en inscrivant dans le marbre de la loi le principe d’une « double caisse » pour ADP, alors que, jusqu’à présent, ce mécanisme relevait de simples dispositions réglementaires. Le Sénat a certes amendé ce dispositif en précisant que la « caisse commerciale » non régulée (c’est-à-dire les recettes tirées des « boutiques, de la restauration, des services bancaires et de change, de l’hôtellerie, de la location d’automobiles, de la publicité et activités foncières et immobilières hors aérogares ») pourrait contribuer aux charges de la « caisse régulée » (alimentée essentiellement par les redevances versées par les compagnies aériennes). Mais il n’a pas rendu obligatoire cet aménagement du système de la « double caisse », et il a en outre limité à 20% des charges du périmètre régulé le niveau de la contribution apportée par la « caisse commerciale ».
Le Sénat a ainsi validé des dispositions destinées à satisfaire les investisseurs qui se porteront candidats à la privatisation d’ADP, puisqu’ils auront la garantie que le pouvoir exécutif et les autorités de régulation ne pourront pas limiter drastiquement les profits réalisés par ADP sur la « caisse commerciale ».
Par ailleurs, le Sénat a adopté des mesures importantes en matière de régulation aéroportuaire.
D’une part, il a habilité le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures permettant de transformer l’actuelle Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires (ASI) – qui avait été créée par un simple décret à la suite de la décision du Conseil d’État invalidant le choix de la DGAC comme autorité de supervision – en une véritable autorité administrative indépendante (AAI) ayant un statut législatif. On notera que l’habilitation laisse au Gouvernement la possibilité d’intégrer l’ASI dans une AAI existante. Prélude à une extension des compétences de l’ARAFER ?
D’autre part, le Sénat a adopté des dispositions assez étonnantes concernant le coût moyen pondéré du capital (CMPC) servant de référence pour le calcul de la « juste rémunération » que les redevances payées par les compagnies aériennes doivent assurer aux exploitants aéroportuaires dans le cadre de la « caisse régulée ».
Le texte du Sénat prévoit certes que les contrats de régulation économique (CRE), négociés entre le ministre des transports et les sociétés aéroportuaires pour fixer leur cadre d’exploitation sur 5 années, devront fait l’objet d’un avis conforme de la part de l’ASI, conférant ainsi à cette dernière un droit de veto. Le texte prévoit même expressément que l’avis conforme de l’ASI devra porter notamment sur le CMPC. Mais, dans le même temps, le texte lie les mains de l’autorité de régulation.
Le texte voté par le Sénat lie les mains de l’autorité de régulation des redevances aéroportuaires
Les articles votés par le Sénat précisent que le montant des redevances doit tenir compte de la rémunération des capitaux investis « appréciée au regard du CMPC estimé à partir du modèle d’évaluation des actifs financiers, des données financières de marché disponibles et des paramètres considérés pour les entreprises exerçant des activités comparables ». Il ajoute que ces données sont appréciées « de manière prévisionnelle sur la période couverte » par les CRE. Et il énonce que : « Au cours de l’exécution de ces contrats, dès lors que les tarifs des redevances aéroportuaires évoluent conformément aux conditions qui y sont prévues, ces principes sont réputés respectés et le niveau du CMPC y compris en l’absence de stipulation expresse, ne peut, pendant la période couverte par le contrat, être remis en cause ».
En d’autres termes, si au cours des 5 années d’exécution d’un CRE, les conditions de marché viennent à changer par rapport aux prévisions sur la base duquel celui-ci a été négocié (et chacun sait que cela n’est pas une hypothèse improbable), cela ne change rien et l’exploitant aéroportuaire a toujours droit à une rémunération calculée sur la base des prévisions obsolètes ayant servi à élaborer le CRE. Pour prendre un exemple simple, si, au moment de la préparation du CRE, les taux d’intérêts étaient élevés et les conditions de marché telles que l’exploitant pouvait prétendre à une rémunération du capital de 10%, alors ce niveau de rémunération sera maintenu pendant 5 ans, même si les taux d’intérêts plongent et rendent ce taux excessif.
Il est clair qu’une telle disposition vise à prévenir toute velléité, de la part des gouvernements comme des autorités de régulation, de remettre en cause les éléments financiers pris en compte par les actionnaires des sociétés aéroportuaires. Et, pour que les choses soient bien claires, le texte du projet de loi précise que la règle ainsi énoncée s’applique à tous les CRE « y compris ceux qui sont en vigueur à la date de promulgation de la présente loi ». Voilà qui rassurera les investisseurs qui prendront part à la procédure de privatisation d’ADP.
Une régression par rapport à l’état actuel du droit
Par ailleurs, en l’absence de CRE, ce n’est pas l’ASI qui fixera les tarifs, mais « le ministre chargé de l’aviation civile, sur une base annuelle et après homologation par l’autorité de supervision indépendante ». Il s’agit là d’une régression par rapport à l’état actuel du droit, qui ne prévoit pas l’intervention du ministre dans les décisions par lesquelles l’ASI homologue les tarifs proposés par les exploitants aéroportuaires ou, le cas échéant, se substitue à ces derniers pour fixer les tarifs. On peut se demander comment l’intervention du ministre se combinera avec celle de l’ASI dans le futur cadre de régulation.